Le nouveau film d’Amenábar est une catastrophe. Mais n’oublions pas l’excellent cinéaste qu’il a été.

C’était l’événement cinématographique de ces dernières semaines en Espagne : affiches placardées sur les autobus, unes des magazines, rétrospectives à la télévision, … Alejandro Amenábar est de retour avec Régression, un nouveau film inscrit dans le genre qui a fait sa gloire : le thriller horrifique.

Résumé : En 1990, une jeune femme (Emma Watson) s’enfuit de la ferme familiale et se réfugie dans un couvent. Elle prétend être poursuivie par une secte satanique. Un flic (Ethan Hawke) mène l’enquête et plonge petit à petit dans la paranoïa.

Regression - Ethan Hawke - Emma Watson - Nos années Lumière
Emma Watson et Ethan Hawke dans Régression

Tout le monde se frottait les mains d’excitation à l’idée de revoir un thriller signé par le réalisateur de The Others – de surcroît, son premier film de fiction depuis la sortie d’Agora en 2009. Hélas, Amenábar rate complètement son coup et Régression ne ravira ni le grand public, ni les amateurs de films d’horreur pourtant plus enclin à pardonner certaines approximations scénaristiques. Car le problème est bien là. L’intrigue est à ce point prévisible que le film perd rapidement de son intérêt. Au bout de 20 minutes, la solution de l’énigme saute aux yeux pour quiconque a vu plus de deux thrillers dans sa vie. Ensuite, il vous faudra supporter les pleurnichages d’Emma Watson pendant une heure et demie. Irritant.

Par ailleurs, Amenábar pompe généreusement le Rosemary’s Baby de Polanski, en reprenant le moteur de l’intrigue (mes proches font-ils partie d’une secte satanique ?) ainsi que les scènes les plus fortes (les membres de la secte entourant le lit de leur victime). Si au moins il pompait avec talent…

Car du talent, il en a eu. Et plutôt que de me mettre en colère en développant davantage tout le mal que je pense de Régression, je préfère partager avec vous mon enthousiasme pour ses trois premiers films.

Alejandro Amenábar, nous l’avons découvert il y a presque 20 ans. Souvenez-vous, c’était en 1996. Tout le monde parlait de Tesis, ce petit thriller malin réalisé par un jeune espagnol. La thèse en question porte sur la violence audiovisuelle, et l’étudiante qui l’écrit (Ana Torrent) se rend compte au fil de ses recherches de l’existence de snuff movies tournés dans les environs de l’université.

Ana Torrent et Eduardo Noriega dans Tesis
Ana Torrent et Eduardo Noriega dans Tesis

Tourné dans les bâtiments de la Faculté des Sciences de l’Information de l’Université Complutense de Madrid – là où Amenábar a étudié la réalisation sans jamais obtenir son diplôme – Tesis fourmille d’idées pour faire monter l’angoisse avec un minimum de moyen. La scène où les protagonistes avancent dans un long couloir obscur, s’éclairant par intermittence en grattant des allumettes reste l’un des moments d’angoisse les plus marquants de mon adolescence.

Penelope Cruz dans Ouvre les yeux
Penelope Cruz dans Ouvre les yeux

Pour son second film Ouvre les yeux (Abre los ojos), réalisé l’année suivante, Amenábar reprendra une partie du casting de Tesis : Eduardo Noriega et Fele Martinez. Par contre exit Ana Torrent et place à l’étoile montante Penélope Cruz. Le film, qui raconte le cauchemar d’un beau gosse plein aux as défiguré suite à un accident de voiture, fait un carton. Tom Cruise et les frères Weinstein veulent en produire le remake et demande à Amenábar de se charger lui-même de l’adaptation US. Le réalisateur décline l’offre mais propose un deal. Il leur vend les droits d’adaptation à condition qu’ils financent son nouveau projet. Le marché est conclu. Et pendant que Nicole Kidman se rend en Cantabrie (dans le nord de l’Espagne) pour tenir le rôle principal de The Others (2001), Tom Cruise s’en amourache de Penélope Cruz sur le plateau de Vanilla Sky.

Nicole Kidman et James Bentley dans Les Autres
Nicole Kidman et James Bentley dans Les Autres

Si tout le monde a depuis oublié Vanilla Sky, Les Autres est un chef-d’œuvre d’une efficacité et d’une beauté formelle époustouflantes. Avec Les Innocents de Jack Clayton (1961), c’est sans doute ce qu’on a fait de mieux dans le sous-genre que sont les « thrillers avec des enfants et des fantômes ». Le metteur en scène atteint là son climax artistique.

Après ce succès, il a l’audace de quitter le fantastique et livrera Mar adentro (2005), un mélo sur l’euthanasie, oscar du meilleur film étranger, puis Agora (2009), un péplum soporifique. En fait, depuis The Others, Amenábar régresse de film en film, comme s’il avait déjà tout dit. J’ai bien peur que nous ne soyons en train d’assister à la mort artistique d’un grand cinéaste.