Un magnifique film d’horreur à sketchs qui a posé les bases du cinéma fantastique des trente années suivantes. 

C’est l’un des fleurons du film d’épouvante. On le trouve aux côtés de L’Exorciste ou de Massacre à la tronçonneuse dans la plupart des « tops » consacrés au genre. Martin Scorsese – qui, comme nous, est un cinéphile amateur de listes – l’a positionné à la cinquième place de son classement (très vintage, il est vrai) des 11 films les plus terrifiants qu’il ait jamais vu. Et même s’il est aujourd’hui un peu oublié du grand public, Dead of Night (Au cœur de la nuit), anthologie horrifique de nationalité anglaise sortie en 1945, mérite certainement cette place de choix que lui réservent les amateurs.

Tout d’abord pour une raison historique, puisque ce film marqua le retour de l’horreur sur les écrans britanniques, genre qui avait été interdit pendant la Seconde Guerre mondiale. Ensuite car il a popularisé quelques-uns des grands thèmes narratifs qui seront par la suite exploités jusqu’à la corde par le cinéma fantastique : le cauchemar dont on ne peut sortir, l’enfant fantôme qui s’ignore, le miroir hanté et surtout le ventriloque possédé par sa poupée. Enfin, car il reste aujourd’hui suffisamment efficace pour nous tenir en haleine, tout en compensant certaines baisses de rythme par un charme suranné tout à fait agréable.

Dead of Night - La Partie de golf
Dead of Night – La Partie de golf

Résumé : L’architecte Walter Craig est convié au cottage d’un certain Eliot Foley afin d’y préparer des travaux d’aménagement. Mais alors qu’il pénètre pour la première fois dans la demeure, il a comme une impression de déjà-vu. Il semble savoir exactement où se trouvent les objets et se permet même de terminer les phrases de son hôte. Un sentiment qui se confirme lorsqu’il rencontre les invités réunis dans le salon. Il a déjà vécu cette scène en rêve et peut prédire certains événements qui vont s’y produire. « Comme dans les chansons d’amour, je ne cesse de rêver de toi. » Amusés, les invités commencent à raconter des histoires surnaturelles dont ils ont été les témoins, tandis qu’un psychiatre incrédule tente de les expliquer scientifiquement.

En fait, Dead of Night se déroule dans une joyeuse ambiance de veillée – très BCBG – au coin du feu. Car bien que le mystère plane sur cette histoire principale, les convives n’en perdent pas pour autant leur bonne humeur. Les sketchs, par contre, sont de véritables moments d’angoisse.

Dead of Night - Le Cocher de corbillard
Dead of Night – Le Cocher de corbillard

Le premier invité à prendre la parole, un pilote de course, se souvient d’un rêve prémonitoire qui lui a permis d’échapper à une mort certaine. Cette histoire, très courte, donne le ton et brille par sa simplicité et sa merveilleuse utilisation du silence. Lorsque le tic tac du réveille s’arrête pour laisser place au silence le plus complet, le spectateur se surprend à retenir sa respiration. Le film continue ensuite dans un crescendo parfait, tant au niveau de la longueur que de l’intensité des sketchs, jusqu’à aboutir à un final totalement délirant.

Les cas d’anthologies fantastiques réussies sont rares. Les portmanteau films, comme les appellent les Anglo-Saxons, sont souvent des œuvres inégales où certains sketchs nous séduisent davantage que d’autres. On se souvient tout de même de l’excellent Relatos Salvajes sorti en 2014. Mais tous les épisodes étaient signés de la  main du même réalisateur, l’Argentin Damián Szifrón. Ce n’est pas le cas de Dead of Night. Les studios Ealing ayant réuni trois de ses jeunes talents autour d’un patriarche, Alberto Cavalcanti.

Peter et Joan Cortland dans l'épisode du Miroir hanté
Peter et Joan Cortland dans l’épisode du Miroir hanté

Ce dernier signe l’histoire la plus marquante : celle du ventriloque et de sa poupée maléfique (à moins que nous ne soyons devant un cas de schizophrénie…) portée à bout de bras par un Michael Redgrave plus halluciné que jamais. Un thème déjà abordé par Erich von Stroheim dans The Great Gabbo (1929), et que l’on retrouvera maintes fois au cours de l’histoire du cinéma, notamment dans Magic (1978) de Richard Attenborough avec Anthony Hopkins dans le rôle du ventriloque.

Du côté des jeunes réalisateurs, Robert Hamer, Charles Crichton (*) et Basil Dearden prouvent que le fantastique surgissant d’un cadre réaliste est de loin le plus efficace. Ce petit dérèglement qui change un quotidien ordinaire en cauchemar, ils réussissent à le mettre en images avec une économie de moyens remarquable : un miroir qui ne reflète pas ce qu’il devrait, un plan de jour alors que l’on est censé être en pleine nuit, un réveille qui indique 9 heures puis 4 heures l’instant d’après.

70 ans après sa sortie, on admire le bel héritage que Dead of Night a laissé derrière lui : les séries The Twilight Zone et Alfred Hitchcock Presents, quelques bons B movies récents comme Oculus (2013), ou même des classiques tels The Others (2001) et Psychose (1960).

(*)Robert Hamer se spécialisera ensuite dans les comédies avec Alec Guinness (Noblesse oblige, 1949). Quant à Charles Crichton, qui réalise un sketch comique mettant en scène le duo d'acteurs Basil Radford et Naunton Wayne, vu dans Une femme disparaît (1938) d'Alfred Hitchcock, on le connaît aujourd'hui surtout pour son dernier film Un poisson nommé Wanda (1988).