Huis-clos maritime plein de sous-entendus homosexuels, Billy Budd, adapté du roman posthume d’Herman Melville, est l’un des rares films réalisés par Peter Ustinov.

Pitch : En pleine guerre napoléonienne, Billy Budd, un beau jeune homme à la chevelure dorée, est enrôlé de force sur le navire de combat britannique Avenger. Il est tout de suite adopté par l’ensemble de l’équipage qui le trouve formidablement sympathique. Il faut dire que Billy est toujours souriant et affable, et ne réfléchit jamais au moment de venir en aide à un camarade. Même le capitaine du navire est tombé sous son charme et pense lui confier rapidement de nouvelles responsabilités. Bref, tous les matelots aiment Billy Budd. Tous ? Non ! John Claggart, le maître d’équipage pervers et sadique, exècre la sympathie que suscite le petit moussaillon et ne rêve que d’une chose, lacérer le dos de Billy Budd à grands coups de fouet.

Oubliez Captain Horatio Hornblower ou Master and Commander, Billy Budd n’est pas une aventure maritime, mais un huis clos mettant face à face un ange et un démon. Peter Ustinov s’attaque avec maestra au roman posthume d’Herman Melville (le mec qui a écrit Moby Dick) en se basant sur son adaptation théâtrale.

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Peter Ustinov (à doite)

Pas de scène de combat donc, mais un duel psychologique porté par un trio d’acteurs impeccables. Billy Budd est interprété par Terence Stamp dont c’est le premier rôle au cinéma. Un personnage à la bonté naïve quasi christique qui contraste avec la suite de la carrière de l’acteur. Face à lui, Robert Ryan joue Claggart, le maître d’équipage dont l’infamie et la terreur qu’il inspire rappellent le professeur de Whiplash. Sans doute une des meilleures performances de l’acteur. La façon dont il passe sa langue sur les lèvres lorsqu’il prononce le mot « fouet » donne le frisson. Enfin, pour arbitrer cette confrontation, Peter Ustinov lui-même campe le très shakespearien Capitaine Vere à l’indécision fatale, tiraillé entre le règlement et les sentiments.

À ce propos, Billy Budd vous rappellera peut-être aussi Dogville. Comme dans le film de Lars von Trier, on assiste, impuissant, à la mise en place d’une injustice qui semble inévitable. Chacun se voulant pourtant compréhensif et de bonne volonté, mais la succession d’hésitations et de mauvais choix semble mener inéluctablement les protagonistes vers un destin tragique.

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Terence Stamp et Robert Ryan

En tout cas, chapeau bas à Peter Ustinov dont les talents de mise en scène avaient été oubliés avec le temps. Il montre toute sa maîtrise notamment lors d’une conversation nocturne entre l’ange et le démon. « Puis-je rester sur le pont pour regarder l’eau ? » demande Billy à Claggart resté seul. « Un beau matelot peut faire plus de choses que les autres. » répond le maître d’équipage. La meilleure scène du film, au cours de laquelle on passe successivement de la suspicion à la séduction puis à la haine. « – Est-ce par ignorance ou par ironie que tu parles de façon si naïve ?, s’interroge Claggart. – Ce doit être par ignorance car je ne comprends pas l’autre mot, répond innocemment Billy. »

Quant au sous-texte homosexuel, il est assumé par le réalisateur. « Le truc typique entre marins » s’amusait Ustinov à l’époque. Tous les hommes aiment Billy Budd, du capitaine au maître d’équipage, et c’est la peur qu’inspire cet amour qui causera la perte du jeune homme.

Complément d'analyse extrait de « Napoléon, l'épopée en 1000 films », d'Hervé Dumont : "En gommant l'aspect symbolique du texte et en accentuant la différence d'âge entre Billy et son capitaine, Ustinov introduit en outre dans le récit une forme de conflit générationnel (autoritarisme contre individualisme) que le jeune public américain, à la veille de la guerre du Vietnam, percevra comme un appel à la désobéissance civile face à un système militaire corrompu qui s'apprête à sacrifier jeunesse et innocence sur l'autel du pouvoir. Terence Stamp est nominé à l'Oscar 1963, ce qui lance sa carrière comme icône de la contre-culture."